Ce billet concerne une décision prise dans une ville belge mais même si vous habitez à l’autre bout de la planète, prenez le temps de lire, vous verrez, ça en vaut la peine.
La Belgique est le pays du surréalisme. Le pays où tout est possible. Même les choses les plus absurdes.
La ville de Charleroi va saisir la recette de certains SDF qui font la manche!
Oui, vous avez bien lu, ils n’ont rien mais on va quand même réussir à leur prendre quelque chose.
L’histoire : Charleroi, ville wallonne située dans la province du Hainaut, est une des villes où la précarité est la plus présente. Le nombre de chômeurs explose et beaucoup se retrouvent à la rue, faute de pouvoir se payer un logement et faute d’avoir un logement social. La majorité des SDF sont des hommes car un homme célibataire sans enfant n’est pas prioritaire dans l’obtention d’un logement social.
Une fois à la rue, il est encore plus difficile de trouver un emploi. Ces personnes sont donc obligées de mendier quelques pièces pour s’acheter à manger (ou, malheureusement pour certains, s’acheter leur dose ou leur bouteille).
Il est vrai que la multiplication des SDF installe un sentiment d’insécurité.
Je vais rarement dans le centre ville de Charleroi mais je me rends souvent à Bruxelles, et là aussi il y a son lot de SDF et de mendiants. Le tunnel qui relie la gare Centrale au métro est très souvent squatté par des SDF qui cherchent à se mettre à l’abri du vent et du froid.
Bizarrement, ça ne me dérange pas surtout qu’ils ne demandent généralement rien. Pour la plupart, ils tendent leur gobelet ou montre leur petite pancarte. Certains font de la musique.
En parlant de musique, une petite anecdote sympa : les mendiants prennent parfois le métro bruxellois et joue d’un instrument, généralement l’accordéon.
Un jour, il y en a un qui entre dans la rame où je me trouve et qui joue du violon. C’était tellement beau ce qu’il jouait que j’en ai pleuré! C’est la première fois que j’ai les larmes aux yeux en entendant quelqu’un jouer du violon!
Ce mec n’avait absolument rien à faire dans une rame de métro à quémander une pièce : ce mec doit être au conservatoire!
D’ailleurs, je n’ai jamais vu autant de personnes donner une pièce à un mendiant!
Revenons à Charleroi.
Pour enrayer cette épidémie de mendiants, la Ville a trouvé la solution : les virer!
En fait, quand on parle de Charleroi, on parle de l’agglomération, pas uniquement la ville. Donc, les mendiants ont des jours et des villes.
La Ville impose ainsi aux SDF d’aller à Charleroi le lundi, à Gilly et Marcinelle le mardi, à Marchienne-au-Pont et Monceau-sur-Sambre le mercredi, Montignies-sur-Sambre et Mont-sur-Marchienne le jeudi, Gosselies et Jumet le vendredi et à Couillet le samedi. La mendicité sera interdite le dimanche et ne sera autorisée que de 8h à 18h. En dehors de ces heures, les mendiants ne seront pas les bienvenus et les récalcitrants seront punis.
Punis comment?
C’est là qu’on atteint le sommet de l’absurdité : il aura une amende!
Oui, vous avez bien compris : on va lui prendre son argent! Lequel? Celui de sa « recette ». Les quelques piécettes récoltées au cours de la journée lui seront confisquées.
Je suis tombée des nues en lisant cela! Je trouve cela ahurissant qu’on puisse réussir à prendre de l’argent à des gens qui n’en ont pas.
Et en cas de récidive : arrestation administrative de maximum 10h : voyons le bon côté des choses : le SDF sera à l’abri pendant 10h en hiver (il faut bien essayer de trouver du positif dans cette mesure totalement débile).
Voilà donc ce que la Ville de Charleroi a décidé pour diminuer la mendicité : en la punissant.
Parce que, le SDF, une fois 18h, il va faire quoi? Certes il ne pourra plus mendier, mais où devra-t-il aller?
Rester en rue? Il ne pourra pas car on risque de l’accuser de mendicité et lui prendre sa recette.
De plus, accuser quelqu’un est une chose. Mais on reste innocent jusqu’à preuve du contraire. Et qui va prouver le contraire? Le policier qui va arrêter le mendiant? Où est le juge? Où est l’avocat pour défendre les droits?
Parce qu’un SDF a aussi des droits.
Déjà qu’il n’a pas de maison, pas d’emploi, pas d’argent, pas de vie sociale si en plus on lui retire les quelques droits qu’il lui reste, il se retrouvera sans vie.
Plutôt que de chercher une solution pour aider les SDF, on va leur créer de nouveaux problèmes.
Et comment vont-ils aller de Charleroi à Gosselies? A pieds? C’est loin! (je sais, je l’ai fait 😉 ). Donc en transport en commun… qui est payant!
Je comprends très bien la Ville de Charleroi qui essaie de diminuer le sentiment d’insécurité qu’il y a dans la ville mais je pense qu’il y avait d’autres moyens que de menacer les mendiants de se voir confisquer la petite récolte de leur journée.
Je sais que la Ville a voulu bien faire, que cela part d’un bon sentiment. Je ne pense pas que le collège s’est réuni en disant « Bon, à qui n’avons-nous pas encore pris d’argent? Ah oui, les SDF! ». Non, ça, j’en suis quand même sûre, mais là, c’est exagérer quand même.
Cette mesure est déjà d’application à Liège avec une variante : pas de confiscation.
Si le mendiant ne respecte pas le règlement, un PV est rédigé et on lui donne une copie du règlement communal.
En cas de récidive, un second PV est rédigé et un assistant social vérifie que le mendiant perçoit bien les aides sociales auxquelles il a droit (moi, j’aurais fait ça dès le 1er PV mais bon).
Enfin, en cas de nouvelle récidive, le SDF sera arrêté 12h maximum.
C’est déjà mieux qu’un confiscation de la recette du jour et puis il y a quand même une aide d’un assistant social lors de la 2e interpellation (encore une fois, je l’aurais fait lors de la première interpellation).
Si faire la manche semble être facile, je vous invite à passer la journée, debout, un gobelet à la main dans un courant d’air au mois de décembre et on en reparlera (déjà 5 minutes sur un quai à attendre le train c’est limite…)